PATRICE LOKO
Premier entretien avec Patrice, alors que celui-ci est arrivé depuis deux mois à Lorient, suite à son départ du Paris Saint-Germain. Nous passons en revue, avec lui, sa carrière, de ses premiers dribbles en poussin à Sully-sur-Loire à ses projections d’avenir à l’aube de ses trente ans.
LORIENT - JANVIER 1999Les débuts au F.C. Nantes
Peux-tu nous raconter les circonstances de ton arrivée au F.C. Nantes ? Pourquoi là-bas et pas ailleurs ?
En 1984, je joue en cadets nationaux à Amilly, dans le Loiret, sous la houlette de notre entraîneur Jean-François Laurent. Il y avait également Franck Gava, qui joue actuellement à Monaco. Franck et moi sommes parmi les meilleurs éléments de l’équipe et à ce titre nous participons à un tournoi de présélection des cadets de la région Centre en fin d’année, à Blois. Nous y sommes repérés par quelques recruteurs, de mémoire celui d’Auxerre, M. Aldo Platini de Nancy et M. Guelso Zaetta du F.C. Nantes. À la suite de ça, le F.C. Nantes nous propose un stage d’une semaine à la Jonelière pendant les vacances de février 1985 auquel nous nous rendons.
Tout se déroule bien là-bas et nous finissons notre saison entre Amilly, où nous jouons et Gien où nous sommes en sport-études la semaine.
À peu près à la même époque, je fais également une petite visite au centre de l’A.J. Auxerre pendant quelques jours. Guy Roux, très sympa, fait tout pour que je me sente bien, m’installant par exemple dans la chambre des frères Boli.
Il avait déjà la même réputation à l’époque ?
Exactement la même ! (rires)
Ça ne te faisait pas peur ?
Non. Le centre de formation de l’A.J.A. était un des plus réputés du pays, c’était forcément très intéressant.
Et ensuite ?
Après les présélections à Blois, nous participons à la Coupe Nationale des Ligues à Vichy, pendant les vacances de Pâques 1985. Il y a là, à la fois, tous les meilleurs jeunes mais aussi tous les recruteurs du pays. Je fais un bon tournoi, sur cinq ou six rencontres, je crois que je marque au moins un but par match et termine dans les meilleurs buteurs. Après ça, quinze clubs français – une dizaine de D1 et cinq de D2 – se manifestent, faisant chauffer le téléphone chez mes parents : Saint- Etienne, Sochaux, Monaco, bref, les meilleurs clubs formateurs en plus de ceux avec lesquels je suis déjà en contact.
Il n’est évidemment pas question de les visiter tous. Mon père en présélectionne trois : Monaco, Auxerre et Nantes et me demande de choisir celui qui me tente le plus. Il estime en effet que le choix m’incombe, à partir du moment où j’allais y passer plusieurs années. J’opte donc pour Nantes, où il me semble que les conditions pour mon épanouissement sportif et personnel me semblent les meilleures.
Nantes ne retiens pas Franck Gava ?
Absolument. Je crois qu’il s’est vu détecter un problème au dos lors de la visite médicale, il me semble même que le docteur lui avait dit qu’il ne ferait jamais carrière dans le foot (rires) !
En revanche, Jean-Michel Ferri – que je ne connaissais pas encore – signe en même temps que moi.
Tu as donc vu tous les pros et les futurs pros de cette époque ?
Oui, il y a encore José Touré… Marcel Desailly et Didier Deschamps – qui avait sa chambre à côté de la mienne – sont arrivés deux ans avant moi. Il y a aussi mon copain David Saint-Guilly, un très bon joueur qui n’a malheureusement pas percé ensuite.
Peux-tu nous raconter tes premières années en pro à Nantes, à partir du moment où tu as commencé à intégrer l’équipe première, jusqu’à la saison du titre
Je suis donc arrivé à quinze ans et demi là-bas, j’ai débuté en cadet deuxième année. La deuxième saison, j’ai joué un petit peu en quatrième division, puis en troisième division. J’ai gravi les échelons petit à petit. La troisième division, c’était la dernière étape avant la D1, c’était donc déjà un bon niveau. J’ai évolué avec Deschamps et Desailly, qui jouaient de temps à autre avec la réserve. J’ai fait de bonnes saisons en D3, avec de bons joueurs qui n’ont pas forcément fait carrière ensuite et j’ai intégré petit à petit le groupe des professionnels vers l’âge de 18 ans avec l’entraîneur croate Miroslav Blazevic. Au départ, on est souvent remplaçant, on rentre cinq minutes puis dix puis quinze…
Au poste que tu occupes encore ?
Oui et non. Attaquant, mais surtout sur l’aile, gauche ou droite. La première année souvent remplaçant mais je suis davantage titulaire la seconde. Je me rappelle davantage ma première titularisation à Marseille au Vélodrome que de mon premier match en D1 contre Bordeaux. L’entraîneur m’avait dit que je serai titulaire côté gauche, j’ai donc eu Manuel Amoros sur le dos tout le match en un contre un. C’était fabuleux pour moi, j’étais enfin dans le « grand bain ».
Ensuite j’ai enchaîné les matchs. Bien sûr, ce n’est pas évident car au début, sans expérience à ce niveau, on fait beaucoup d’erreurs. Mais petit à petit j’ai percé à ce poste-là.
Comment se comporte un entraîneur avec un jeune joueur ?
En arrivant à Nantes, Blazevic voulait tout changer et, notamment, ne voulait pas me conserver. Il avait dit au staff technique : « Il faut prêter Loko à un autre club, je n’en veux plus ! » et messieurs Zaetta et Denoueix lui avait rétorqué : « Patrice Loko est le meilleur élément du centre de formation, si on le vire lui, on vire tous les autres ! » (rires). Donc, il m’a gardé et j’ai fini par jouer !
Il me mettait constamment la pression, m’engueulait chaque fin de match, mais m’alignait régulièrement. n’était pas sympa avec moi, me mettait la pression continuellement, m’engueulait à chaque fin de match… Mais il m’intégrait à chaque fois dans l’équipe. Je suppose que c’était sa façon toute personnelle de m’encourager.
Avec Jean-Claude Suaudeau, c’était quand ?
C’était l’année d’après, après le limogeage de Blazevic. Nantes avait des problèmes financiers cette saison-là, ne pouvait presque pas recruter et a dû s’appuyer sur des jeunes. J’ai donc davantage joué.
On est donc reparti avec une équipe de jeunes pendant trois saisons. J’étais un des plus anciens de l’équipe alors que j’avais à peine deux ans de présence en pro.
À partir de quand as-tu été associé avec Ouédec ? Encore aujourd’hui, depuis l’année du titre en 1995, c’est une doublette « mythique »…
Il n’y a pas de paire Loko / Ouédec. Il y a un trio Pedros / Loko / Ouédec, et encore faudrait-il ajouter Japhet N’Doram avec lequel nous avions une relation de ballon fantastique. Mais on ne peut pas exclure Reynald de notre association avec Nico, ça n’a pas de sens.
Pour en revenir à la question initiale, on a véritablement joué trois saisons ensemble, peut-être quatre et donc directement en équipe première. En effet, ils sont un peu plus jeunes que moi – je suis de février 70, Nico et Reynald sont d’octobre 71 – et sont donc arrivés à Nantes après moi. J’ai eu une progression assez classique et linéaire, c’est à dire D4, D3, remplaçant en D1 puis titulaire. Eux ont été intégré plus rapidement à l’équipe première et sont passés directement de la D3 à la D1 à cause des problèmes financiers que je viens d’évoquer.
Le F.C. Nantes Atlantique champion de France
La saison du titre, tu inscris plus de buts que lors de toutes tes autres saisons réunies, avec une équipe à peu près similaire…
Les deux années précédentes, on a une équipe très jeune avec la plupart des joueurs découvrant la première division. On prenait donc moins de risques, on tente moins notre chance devant le but, me concernant j’ai moins de ballons à exploiter et naturellement je marque peu. L’année du titre, on est en pleine confiance dès le début du championnat. Tous les joueurs ont du talent, les automatismes sont là. On a beaucoup de réussite au départ, ensuite on ne réfléchit plus, tout s’enchaîne comme à l’entraînement. Comme on se crée énormément d’occasions à chaque match, fatalement on en a met beaucoup au fond, autant Nicolas que moi. J’en ai mis vingt-deux, lui dix-neuf ou vingt si j’ai bonne mémoire.
Comment expliques-tu que le groupe des champions de France ait éclaté après le titre ? Pourquoi ne pas avoir joué la Ligue des Champions, qui était en quelque sorte un aboutissement, une récompense ?
Pour ma part, ça faisait dix ans que je jouais au F.C. Nantes, pour cinq ou six saisons en D1, dont trois dernières exceptionnelles. Être européen deux fois d’affilée et champion de France avec une équipe jeune, issue majoritairement d’un centre de formation, il faut comprendre que c’est extraordinaire. Aussi, je pensais que nous étions arrivé au maximum de ce que nous pouvions faire. À titre personnel, je ne voulais pas faire « l’année de trop », mais je voulais également progresser, connaître une autre expérience. C’était le bon moment pour partir. À vingt-cinq ans, j’étais un peu plus âgé que les autres. J’avais plusieurs propositions de clubs, dont celle du PSG qui était mon rêve d’enfant.
Je pense que Christian Karembeu est dans une situation similaire, puis ceux qui ont quitté le club l’année d’après comme Reynald ou Nico. La plupart ont d’ailleurs été jusqu’en demi-finale de la Champion’s League, quand même…
Mais ce n’était déjà plus le même groupe…
Oui, c’est vrai.
Tu n’envisageais pas de faire une carrière à la Max Bossis, qui n’a réellement connu qu’un club (si on excepte la parenthèse Mata Racing) ? C’est impossible dans les années 90 ce genre de plan de carrière ?
L’idée que je me faisais de ma carrière de footballeur n’était pas de rester dans le même club pendant des années. Je voulais jouer dans de bons clubs et progresser. Ça a été Nantes, puis Paris, maintenant il y a Lorient, et il y en aura peut-être d’autres. Il y a des joueurs viscéralement attachés à « leur » club qui ne s’imaginent pas ailleurs, mais ce sont des cas marginaux. Si un footballeur est très fort, il va avoir envie de voir jusqu’à quel niveau il peut évoluer, donc partir pour un club plus important. Certes, il y a l’aspect financier, d’autant que les carrières sont courtes. Mais jouer l’Europe tous les ans est plus excitant que de jouer le milieu de tableau, évoluer aux côtés de grands joueurs pour progresser, découvrir un championnat étranger pour connaître d’autres sensations. Plus généralement, il s’agit de repousser ses limites personnelles.
On parle régulièrement des difficultés – réelles ou supposées – qu’éprouvent les joueurs formés à Nantes à s’épanouir dans d’autres clubs… Les avis sont contradictoires, et je pourrais en citer deux émanant de nantais illustres : Claude Makélélé qui déclarait un jour « à Nantes, on est très couvé », et Raynald Denoueix, qui me disait : « je ne pense pas que le football pratiqué à Nantes soit très différent ce qui se fait ailleurs ». Quel est ton avis ?
On est couvé dans tous les clubs ! C’est difficile pour des jeunes de se retrouver en centre de formation, loin de leurs familles et de leur repères. Alors on les place dans les meilleures conditions et on les aide pour tout. C’est le cas partout.
Ensuite, c’est vrai qu’évoluer dans un club, avec les mêmes joueurs depuis les Cadets jusqu’aux pros, on développe des automatismes sur le terrain, une manière de jouer qu’il est difficile de retrouver ailleurs. La compréhension avec des joueurs qui ont un autre vécu est peut-être plus délicate. Mais c’est à mon sens le cas pour un joueur venant de Nantes, de Monaco, ou d’Auxerre.
Je suis persuadé que si on devait faire l’inventaire de tous les joueurs nantais ayant fait une grande carrière après leur départ, la liste serait éloquente.
Alors pourquoi ce poncif selon toi ?
On regarde davantage Nantes peut-être parce que c’est le fleuron de la formation du football en France. Les gens voient dans ce club de super JEUNES joueurs, dont on imagine un avenir particulièrement doré. Lorsqu’ils quittent ce club, il n’y a plus l’effet de découverte, alors entre les espoirs placés en eux et ce qu’ils font vraiment, il peut y avoir un décalage.
Ce poncif traine depuis longtemps. On l’entendait déjà pour José Touré ou William Ayache, qui était international lorsqu’il est parti pour Paris et a eu un peu de mal à réellement trouver sa place là-bas, dans un contexte concurrentiel accru.
L’équipe championne de France en 1994 était constituée quasi exclusivement de joueurs issus du centre de formation, auxquels on a fait confiance pendant plusieurs saisons. Penses-tu que cela soit encore possible aujourd’hui avec l’arrêt Bosman ?
On voit bien cette année (NDLR : 1999) à Nantes qu’il y a beaucoup de jeunes de grands talents. Mais tous les clubs sont dessus dès que l’un d’eux fait dix bons matchs en D1… Il va évidemment devenir difficile de les faire jouer longtemps ensemble, parce qu’ils vont être sollicités par des clubs européens, pas forcément les plus huppés d’ailleurs, mais qui ont une surface financière plus importante que chez nous. C’est risqué, car à l’étranger les effectifs sont plus importants et la concurrence est accrue, il faut être très fort pour compenser le manque d’expérience. Jeune, on a besoin d’en emmagasiner avec du temps de jeu. Quand j’ai intégré le groupe pro nantais, je n’aurais pas aimé être remplaçant pendant cinq ans, j’aurais évidemment voulu jouer tout de suite, comme j’ai eu la chance de le faire. Le football ce n’est pas être remplaçant, c’est jouer les matchs tous les week-ends.
Y a-t-il des jeunes joueurs que tu as particulièrement remarqués ces derniers temps, pas nécessairement à Nantes ?
(Il réfléchit un court instant) Franchement, je ne suis pas vraiment ce qui se passe à côté. Nantes, je les vois lorsque je joue contre eux. J’ai vu ce dont ils sont capables. Il y a deux, trois joueurs qui étaient au centre de formation quand j’y étais, dont je n’aurais d’ailleurs pas forcément pensé qu’ils allaient faire la carrière qui leur semble promise. Ils y arrivent très bien ; mais je n’ai pas de noms en particulier.
Le Paris Saint-Germain
Parlons de Paris maintenant. Tu étais donc supporter du PSG depuis tout jeune…
Absolument. Mes parents habitaient à côté d’Orléans. Un de leurs amis, abonné au Parc, m’emmenait régulièrement avec lui lorsque j’étais gamin. Le PSG, c’était mon équipe. J’attendais les joueurs à la sortie, je leur demandais des autographes… Jamais je n’aurais imaginé fouler la pelouse du Parc, c’était un rêve inaccessible ! Alors quand j’ai su que Paris s’intéressait à moi, il n’y avait plus d’autre club qui comptait.
Tu avais été contacté par des clubs étrangers ?
Quelques un, mais pas des clubs véritablement de haut de tableau. Quoiqu’il en soit, je ne voulais pas griller les étapes et je ne me voyais pas passer directement de Nantes à un club étranger, à cause de la barrière de la langue, de la concurrence plus importante. Je voulais franchir un palier dans un grand club français, et Paris était pour moi une étape obligatoire.
Quand tu es arrivé au P.S.G., Luis Fernandez t’a-t-il demandé de changer quelque chose à ton jeu ?
Non. L’entraîneur a pris les joueurs avec les qualités de chacun, il connaissait les miennes et voulait que je fasse la même chose qu’à Nantes. Mais avec des joueurs différents. Donc pour un résultat diffèrent. À Paris, s’il y avait Rai, Youri et Dely-Valdès, il n’y avait pas d’équivalent à Reynald Pedros sur le flanc gauche. C’est lui qui donnait quasiment tous les ballons à Nantes. J’en reviens à ce dont nous parlions tout à l’heure, à savoir la difficulté de retrouver le même genre d’automatismes en arrivant dans une autre équipe. À Nantes, je faisais beaucoup d’appel, à droite, à gauche. J’ai rapidement vu, à Paris, que je devais faire évoluer mon jeu car on me demandait d’être plus axial. Il fallait donc changer mes courses, frapper un peu plus au but, dribbler davantage, être un peu plus égoïste – on me l’a régulièrement répété – jouer un peu plus direct. Et je crois avoir parfaitement réussi à m’adapter à Paris, aussi bien avec Luis qu’avec Ricardo, même si ce dernier ne m’a pas fait jouer lors de sa dernière saison.
Comment vois-tu, rétrospectivement, ton association avortée avec Julio César Dely-Valdès ?
Nous n’avons pas assez été aligné ensemble. Je pense qu’on aurait pu être un peu plus patient avec lui pour le mettre en confiance quand il a eu une baisse de régime. Autant on a été indulgent avec Florian Maurice quand il n’était pas bon, autant les critiques ont été très dures envers Dely. Mais c’était un très bon joueur. Il avait mis treize buts lors de ses quatre premiers mois à Paris, ce qui était exceptionnel, et c’est vrai qu’il a plongé après la trêve hivernale.
On présente souvent Paris comme un club inhumain pensant avec son porte-monnaie… Comment le club a-t-il été avec toi quand tu as eu tes ennuis personnels ?
J’ai eu les problèmes que tout le monde connaît, et qui ont duré un moment. Ils auraient pu me laisser tomber, et attendre que je revienne. Après tout, ils m’avaient acheté… Cela n’a pas été le cas. On est toujours venu me voir lorsque j’étais en clinique. Ma femme et moi avons toujours été soutenus, tout le monde prenait des nouvelles. Tout a été fait pour que je revienne dans les meilleures conditions, ils n’ont jamais montré d’impatience.
N’ont-ils pas essayé de te faire revenir trop vite au départ ? Je me souviens d’un petit article dans France Football intitulé « le spectacle continue ».
Non, au contraire. À ce moment-là, j’étais bien revenu, mais j’ai rechuté. Cela venait de moi et de mon traitement. Ce n’est pas que j’étais mal soigné, simplement pas assez. Je suis retourné un peu en clinique, c’était beaucoup mieux ensuite.
Comment ont été vécues les différentes crises dans le groupe ? L’écroulement en 1996 par exemple…
On a gagné la Coupe de Coupes cette année là quand même ! (Petit sourire satisfait)
D’accord, mais l’équipe écrase tout jusqu’à la trêve, met 5/0 au champion sortant, a 10 points d’avance sur le deuxième. Et vous revenez, incapables de faire la loi au Parc, Montpellier vous met trois buts en dix minutes, Lille et Metz vous battent, Martigues, dernier, vient faire match nul alors que vous pouviez reprendre la tête et la garder…
Oui, c’est vrai. Je retiens principalement la Coupe de Coupes. Maintenant, il faut que je me remette dans le contexte (il réfléchit)… Inconsciemment, on a certainement pensé qu’on serait champion avec l’effectif que nous avions. Nous étions au-dessus du lot, l’équipe jouait très bien… Je suppose que nous nous sommes relâchés mentalement après la trêve, et nous n’avons pas pris nos contre- performances au sérieux.
Quelles étaient les relations avec la presse au PSG ?
(Il coupe presque) Pas bonnes du tout. C’était excessif dans les deux sens. Un bon résultat et nous étions portés aux nues ; un match nul et tout était à jeter. Alors une défaite (rires)… Il y a eu des critiques très dures et particulièrement injustes avec certains joueurs. À la longue, cela influe fatalement sur les performances.
Et le discours des supporters quand une équipe ne marche pas, du genre « on veut des joueurs qui aient le respect du club, qui mouillent le maillot, pas des starlettes payées de millions qui ne courent pas ! » ?
Ce n’est pas le salaire qui fait courir un joueur plus ou moins rapidement, mais je comprends que les supporters aient envie de voir leur équipe bien jouer et gagner.
Mais quand ton club est ridiculisé à domicile par la Juventus de Turin, et qu’après ça la boutique des supporters est incendiée, les joueurs pris à partie ?
Ce jour-là, on a basculé dans l’irrationnel. On en avait pris combien, cinq ?
6/1 ! Tu ne peux pas avoir oublié !
On n’a pas compris ce qui s’est passé ce jour-là. On revenait de stage à la Réunion pour se préparer, on arrive en plein hiver sur un terrain gelé, face à une équipe qui n’avait pas du tout envie de plaisanter (pensif). Je ne sais pas s’il m’était déjà arrivé de me prendre six buts au cours de ma carrière… Ils étaient toujours plus vite, plus forts que nous… Chaque action amenait presque un but… Il me semble qu’on n’avait pas pris un mauvais départ, mais on a pris un but « casquette », je crois et après ça… Prendre six buts en coupe d’Europe, c’est impardonnable. Surtout avec l’équipe que l’on avait.
Et les débordements ? La violence, l’incendie de la boutique ?
Les supporters à Paris sont ainsi. Ils vont nous supporter très bien et très fort, mais quand ça va moins, ils ne vont pas forcément laisser le temps à l’équipe de se remettre dans le « droit chemin »… Certains vont employer des moyens qui vont à l’encontre des joueurs, pour leur faire peur : s’en prendre à leurs voitures, les menacer physiquement. Un peu comme à Marseille.
Que penses-tu de « l’affaire Anelka », à la même époque que le match contre la Juve, avec en creux l’idée que Paris ne laisse pas leur chance aux jeunes de son centre de formation ?
À l’époque, j’ai trouvé son comportement un peu étrange et j’estimais qu’il brûlait les étapes. Au même âge, j’attendais mon tour. Lui a voulu aller plus vite et être titulaire tout de suite. On ne passe pas, à dix-sept ans, du centre de formation à un statut de titulaire dans une équipe européenne en deux mois ! Finalement, il a bien fait puisque ça c’est bien passé pour lui par la suite. Mais il faut remarquer qu’il a très peu joué avec Arsenal au départ, c’est venu par la suite.
Concernant les joueurs du centre de formation, dans le groupe pro parisien, il y a Fabrice Kelban, Didier Domi – qui vient de partir en Angleterre – Gregory Paisley, Pierre Ducroq, Jérôme Leroy… Il y a cinq jeunes issus du centre de formation dans le groupe cette année, moins Domi. On fera toujours venir de grands joueurs de l’extérieur au Paris Saint-Germain car il y a une exigence de résultats immédiats, et ça sera toujours plus dur pour les jeunes. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas. S’il y a de bons jeunes joueurs, ils joueront. Pour en revenir à Nicolas, il faisait partie d’un groupe de joueurs très prometteurs qui auraient pu percer à Paris. Avec ses qualités, il se serait obligatoirement imposé comme titulaire, c’est évident.
Y a-t-il eu un joueur avec lequel tu t’es particulièrement bien entendu sur le terrain, au PSG ?
Il n’y a pas eu de joueurs avec lesquels j’avais les mêmes automatismes qu’avec Nico ou Reynald. Mais je me sentais bien dans cette équipe, avec Youri, Vincent Guérin, Paul Le Guen, Raï et Leonardo… C’était un bloc très solide, une équipe très exigeante, avec laquelle on a fait de grandes choses.
Comment était l’ambiance au PSG, au sein du groupe ? On a parfois l’impression, vu de l’extérieur, que c’est une grosse machine, un peu froide…
(Il coupe) Vu de l’extérieur, peut-être, mais ce n’était pas du tout le cas.
Je voulais étayer ma question avec l’anecdote concernant votre match en coupe de France contre Clermont-Ferrand. On a présenté, TF1 en tête, les joueurs de Paris comme des stars imbues d’elle-même, refusant d’aller signer des autographes à la France du football, hormis peut-être des « grands professionnels » comme Rai ou Lama…
Ce sont des journalistes de Clermont-Ferrand qui ont monté cette affaire en épingle. Les gens de l’Équipe, de TF1 l’ont repris. C’est bien de le dire, ça passe bien à la télé… Les grands clubs doivent montrer l’exemple, se mettre à la portée des petites équipes, très bien. Les Clermontois imaginaient peut-être qu’on passerait une heure et demie à signer des autographes et à nous faire prendre des photos ! Mais nous avons préparé ce match exactement comme on le fait habituellement et nous n’étions pas à leur disposition ! C’est pour ça que notre bus s’est garé devant les vestiaires et pas dehors pour rencontrer les supporters clermontois. Nos dirigeants nous ont autorisés à signer quelques autographes, pas à parader, et une fois fait, c’était préparation et concentration.
Et l’argument qui vous a été opposé : « vous faites un métier public, c’est grâce aux supporters que vous êtes payés grassement » ?
Notre métier ce n’est pas de signer des autographes ! Si les gens viennent à l’entraînement, les joueurs signent autant d’autographes qu’ils veulent ! Le jour du match, c’est autre chose.
De quoi te souviens-tu au sujet de la rencontre en elle-même ?
(Pensif) Le match c’est autre chose… C’est bien, bravo à eux… Je me souviens être sorti avec Benoit Cauet, on menait 3/0 ? 3/1 ?
4/1. Tu venais d’inscrire le quatrième…
Peut-être, oui. Donc, on est sortis en se disant que le match était plié. On est allé prendre notre douche, et on entendait le public qui poussait, qui poussait. On se demandait ce qui se passait et quand les autres sont rentrés aux vestiaires : prolongations ! Finalement, on s’est fait sortir aux tirs aux buts…
Peux-tu nous raconter maintenant comment s’est passé ton intersaison 97/98 ? Est-ce que tu pensais être associé avec Maurice ? Comment as-tu vécu l’arrivée de Simone ?
Je venais de faire une grosse saison avec le club, qui avait recruté deux attaquants pour près de quatre-vingt millions de francs. Aucun entraîneur ne m’a dit comment l’équipe allait évoluer dorénavant, dans quelles dispositions tactiques… J’ai vite compris que si Paris avait recruté ces deux joueurs-là, c’était pour les faire jouer, et moi je n’avais plus ma place comme titulaire. J’avais de bonnes propositions à ce moment-là, j’ai donc demandé à partir. Je voulais jouer, et de préférence à Paris. Mais à vingt-sept ans, international, je ne me voyais pas remplaçant au P.S.G.
Tu ne t’es pas dit : « La saison va être longue, on va jouer la champion’s league » ? On sait que dans le football moderne, les gros clubs doivent être capables d’aligner deux équipes avec leur effectif…
Je ne vois pas les choses comme ça. Un entraîneur fait jouer les meilleurs, il ne fait pas tourner. Quand tu es bon, tu joues, quand tu n’es pas bon, tu sors. Si tu dois attendre cinq mois que le mec soit un peu fatigué, ça ne m’intéresse pas. Ça n’intéresse personne !
En ce moment, chacun loue le turnover instauré par Courbis… Son argument est « Quand je vois Michael Jordan encourager ses équipiers depuis le banc de touche, c’est que ça ne doit pas être difficile de faire cohabiter Ravanelli, Pirès, Dugarry et Maurice…«
C’est vrai. Il fait tourner, ça marche. Mais c’est l’exception. Les mecs sur le terrain sont toujours bons, ils sont certains de jouer tous les deux trois matchs… Mais dans la majorité des clubs, le discours est toujours « ne t’en fait pas, il me faut du monde pour jouer, la saison est longue ». Mais finalement, tu retrouves toujours les mêmes titulaires, même s’il y a quelques changements à la marge.
La suite t’a donné raison…
Évidemment, je sentais vraiment le coup venir.
Faisons un peu de fiction : A la fin de la saison, Courbis t’appelle, te dit que Dugarry ou Ravanelli s’en va, et qu’il te veut dans l’effectif. Est-ce que tu y vas ?
Avec ce que Courbis préconise, on peut plus facilement aller à Marseille que dans un autre club.
Donc, sous cette condition, tu es prêt à aller dans une équipe qui a un effectif pléthorique ?
Oui. Mais de toute façon, à l’étranger, c’est comme ça. Les joueurs jouent. Quand l’un connaît une baisse de forme, il sort et un autre prend sa place, c’est pour ça que les effectifs sont conséquents. En France c’est différent. On a des effectifs plus réduits, on ne sort pas facilement un joueur que l’on a payé cher. La concurrence me semble moins saine.
Penses-tu que la concurrence a été saine, notamment avec Florian Maurice ? Pourquoi n’as-tu pas joué davantage ?
La concurrence était faussée. J’aime bien Flo, c’est un mec bien. Mais à part au début de la saison, son année à Paris n’a pas été bonne. Je suis bien revenu à l’automne et je n’ai pas eu ma chance avant le mois d’avril. Des gens du club m’ont clairement dit « Tu ne joues pas parce qu’il faudra vendre Flo, et pour le vendre, il faut qu’il joue, qu’il soit sur le terrain« . Je ne sais pas pour combien il est parti…
Un petit peu moins que ce qu’il a été acheté, à en croire la presse sportive…
Je vais caricaturer à grands traits, mais s’il ne joue pas, on le vend quinze millions de francs, s’il joue, on va le vendre trente. Le calcul était vite fait : on allait me vendre moins cher que lui. Il valait donc mieux le mettre dans de bonnes conditions. À mon détriment.
Tu veux dire qu’un grand club de football privilégie davantage l’aspect financier que sportif, en pleine saison ? Persister à faire jouer un joueur qui a un faible rendement dans le but principal de ne pas déprécier sa valeur ?
La preuve… Mais après tout, peut-être que Ricardo et Bats (les entraîneurs parisiens) ont pensé que Flo était meilleur que moi à l’entraînement et méritait davantage sa place que moi ?
Es-tu amer vis-à-vis de quelqu’un à Paris ? Ricardo, par exemple, qui a pourtant tenu des propos élogieux sur toi après ton match en finale de la Coupe de la Ligue ?
Bien sûr que je suis amer envers Ricardo. C’est bien qu’il ait reconnu ma bonne performance, mais c’est lui qui voyait ce que je faisais à l’entraînement, lui qui ne m’a pas donné ma chance quand un autre joueur enchaînait les matchs moyens. Aujourd’hui, il est dans un autre club et moi j’ai perdu six mois très importants. Mais, je suis passé à autre chose depuis, fort heureusement.
La fin de l'aventure parisienne et la signature à Lorient
Peux-tu maintenant nous raconter tes derniers mois à Paris ?
Je voulais partir pour ne pas revivre une saison comme la précédente avec Ricardo. Mais Giresse m’a affirmé compter sur moi. Nico Ouédec devait arriver. Je devais jouer côté droit de l’attaque, le projet m’enthousiasmait.
Tu pensais que c’était ta dernière saison ? C’était en tout cas ta dernière année de contrat…
Effectivement, c’était ma dernière année de contrat, et surtout je voulais faire une bonne dernière saison pour quitter le club sur une meilleure note.
On a commencé la saison, sur huit matchs j’ai dû en faire cinq (NDLR : Patrice ne compte pas les matchs où il n’a pas été titulaire. Il a bien joué tous les matchs entrainés par Alain Giresse, huit comme titulaire, un comme remplaçant), les résultats n’ont malheureusement pas suivi. On n’a pas laissé le temps à Alain de mettre en place l’équipe – les ambitions du club étaient de gagner le titre – et il a été débarqué après la huitième journée, après une défaite au Parc face à Lens.
J’ai eu quelques échos internes. Alain Giresse et son staff semblaient convaincus qu’avec cet effectif, et vu le contexte, accrocher l’Europe serait déjà un excellent résultat…
Je n’en n’ai pas eu connaissance. Pour moi, jouer au PSG, c’est viser le titre, rien d’autre. Manifestement, les attentes de la direction étaient également de cet ordre.
Dans ce club, l’entourage n’a-t-il pas une influence néfaste, avec d’un côté l’association PSG, de l’autre Canal + ? On a l’impression qu’il y a des luttes d’influences incessantes…
C’est normal que tous les gens investis dans le club aient des solutions à proposer si ça ne fonctionne pas. Tout le monde veut aider et personne n’a les mêmes idées. Lorsque les attentes sont trop fortes et que les résultats ne suivent pas, c’est l’entraîneur qui trinque en premier. Alain Giresse dans le cas présent. Pourtant, je pense que le problème venait de nous, des joueurs, même s’il a forcément sa part de responsabilité. C’est vrai qu’à la fin, avec la pression qu’il peut y avoir dans ce genre de situation, il ne savait plus trop comment s’y prendre dans les entrainements, tactiquement également. Mais ceux qui n’ont pas bien fait le travail, ce sont les joueurs, en ne trouvant pas de solutions collectives sur le terrain.
Tu regrettes de ne pas avoir été davantage associé à Nicolas Ouedec ?
On n’a jamais joué ensemble !
Oui, justement…
Quand Nico est arrivé à Paris, Giresse comptait nous associer. Nico Ouédec et moi devant, Marco Simone dans une position un peu plus reculée.
Mais Bietry a ensuite recruté Okocha, qui lui est un numéro dix…
Dans une équipe avec Okocha, Simone, Loko, Ouedec, et Adailton, tout le monde ne peut pas jouer en même temps, c’est évident.
On peut néanmoins reparler de la « saine » concurrence au sein d’un groupe, on peut parler de la qualité du banc de touche, c’est aussi le discours d’Artur Jorge…
Je conçois la concurrence comme l’entend Rolland Courbis, on en parlait tout à l’heure. On a bien vu comment Artur Jorge la conçoit, lui. Comment veux-tu qu’un mec se défonce à l’entraînement s’il sait que le samedi il sera, au mieux, sur le banc ? Attendre qu’un joueur se blesse pour prendre sa place ? Très motivant…
Cette saison, à Paris, seul Marco Simone marquait. On disait à ton propos que tu faisais plein de courses inutiles, que tu ne tirais pas au but, que tu ratais le peu d’occasions que tu te procurais…
Je n’ai pas marqué avec Alain Giresse. Je ne cherche pas d’excuse. Mais j’ai eu très peu d’occasions, parce qu’on ne jouait pas assez collectivement, et pas assez offensivement. On ne prenait pas le jeu à notre compte. J’ai fait ce que je sais faire, c’est-à-dire courir, faire des appels de balles, créer de fausses pistes pour libérer des espaces. Mes amis me disaient, « C’est bien ce que tu fais, mais ça profite à Marco, pas à toi ». Alors, on me conseillait d’être plus égoïste, de tenter ma chance, autrement dit de jouer pour moi… ce qui n’est pas mon style de jeu. Au contraire, j’ai préféré tenter d’apporter quelque chose au collectif au lieu de chercher à faire la différence individuellement, mais ce que j’apportais à l’équipe, je le faisais à mon détriment.
Ça ne te faisait pas un peu mal de lire que tu n’étais le buteur dont Paris avait besoin, que tu manquais de réalisme…
J’ai lu ce que rapportait la presse, sur mes courses prétendument inutiles par exemple. Sans commentaire. Certains ont pu se dire « il ne marque pas, on peut donc le changer« . C’est évident que lire des articles que l’on estime injustes est très déplaisant. À Paris, un attaquant doit marquer. Je ne marquais plus. Personne n’a trop cherché à comprendre pourquoi et il fallait bien que quelqu’un trinque. D’ailleurs, avec Artur Jorge, j’étais tout le temps sur le banc et j’ai dû entrer en jeu une seule fois, pour jouer dix minutes en fin de match contre Montpellier.
Lors d’une interview à Europe 1, alors qu’il y avait des rumeurs de transfert te concernant, j’ai posé cette question au standard : « Que comptez-vous faire avec Patrice Loko ?« . Il a répondu « il s’entraîne bien, on va essayer de faire quelque chose avec lui…«
Oui, j’avais écouté… Artur Jorge ne me parlait pas, ou alors simplement pour me dire « c’est bien Patrice, continue, c’est bien », en me tapotant l’épaule…
Quand il demande des joueurs « forts dans leur tête » à Paris ?…
Ce sont des conneries ça !
Oui, on le sait ça, mais quel est ton avis ?
Fort dans la tête, ça veut dire faire abstraction de ce qu’il y a autour du terrain et notamment ce qui est écrit dans la presse. Et puis à Paris, on sait que toutes les équipes vont être sur-motivées à l’idée de battre le club de la capitale. Une fois que le problème est posé, ce n’est pas bien sorcier, on se retrouve sur les mêmes terrains que les autres. Pour Artur Jorge, tout est simple : c’est un bon entraineur, et si l’équipe ne tourne pas, c’est que les joueurs sont mauvais ou pas « forts dans leurs têtes ».
Quand il est arrivé, tu pensais partir ou avoir ta chance ?
Je ne vais pas dire que j’étais heureux d’être sur le banc, mais l’équipe a changé d’entraîneur pour améliorer des résultats jusqu’ici décevants. Artur arrivait et devait faire des essais. Je l’ai parfaitement accepté sans faire d’esclandre.
Alors, ton transfert à Lorient maintenant, comment ça s’est décidé ?
Je suis allé voir Artur Jorge pour lui demander ce qu’il comptait faire de moi. Il m’a répondu « Ne t’en fait pas, tu es bon, je vais t’utiliser. Dans une semaine ou un mois, je ne sais pas. Si je te dis que tu joues samedi et que tu ne joues pas, tu vas être déçu… » Il ne pouvait pas prendre le risque de déclarer qu’il ne voulait plus de moi. Il préférait me pousser à demander un transfert, ce que j’ai fait. Vis-à-vis des médias, c’est moins compliqué aujourd’hui pour lui de dire « c’est lui qui a demandé à partir » si on lui fait remarquer que je marque à nouveau.
L’année où Weah brillait en Champion’s League avec le PSG de Fernandez, un journaliste avait demandé à Artur Jorge pourquoi il ne lui faisait plus confiance les derniers temps lorsqu’il entraînait encore le club parisien. Sa réponse fut : « Il ne travaillait pas assez à l’entraînement »…
Artur Jorge a réponse à tout.
Comment vois-tu la suite de la carrière parisienne d’Okocha, avec Artur Jorge aux commandes ?
Jay-Jay est un super gars, doté d’un très bon état d’esprit. Et c’est surtout un super joueur. Mais il n’y a pas de fond de jeu au Paris-Saint-Germain actuellement. Dans un cas comme ça, chacun joue sa partition dans son coin, comme il pense être le mieux… S’il n’y a pas de ligne directrice, ça ne peut pas marcher. Jay-Jay est meneur de jeu, mais s’il n’y a pas d’appel de balle, il va forcément tenter de faire la différence seul, car il est techniquement au-dessus de la moyenne.
Maintenant ça peut repartir rapidement, mais je ne les vois pas rattraper la saison maintenant. C’est-à-dire être au moins Européen.
Tu es en fin de contrat avec le PSG à la fin de la saison. Lorsque tu reviendras de prêt, si un nouvel entraineur débarque à Paris et te propose de re-signer ?
Ça dépendra aussi des propositions que j’aurai à côté, mais oui, pourquoi pas ? Quand j’ai joué dans ce club, j’étais bien. Toujours.
Est-ce que Paris restera pour toi une expérience inachevée ?
J’ai eu les problèmes que l’on sait, qui m’ont tenu éloigné des terrains par deux fois et pendant un certain temps. Mais lorsque j’ai joué, j’ai bien joué. J’aurais évidemment préféré partir de Paris dans d’autres circonstances et aller dans un bon club étranger. Ça aurait été l’idéal. Mais ça ne s’est pas déroulé comme ça.
Lorient, c’est « reculer pour mieux sauter » ? Ou est-ce un « pis-aller » ?
Non, non. Moi j’ai signé un contrat de sept mois avec Lorient. C’est clair avec les dirigeants. Je viens pour aider Lorient à rester en première division, et pour rebondir aussi. Faire une bonne fin de saison avec Lorient. Et retrouver un autre club au mois de juin.
Ta motivation est-elle aussi forte que pour les autres joueurs, sachant que tu sais que tu ne seras plus là à la fin de la saison ?
Je pense que oui. Je suis venu ici pour « rebondir », et ce n’est pas en étant mauvais que je vais y arriver. Si Lorient marche bien, je marcherai bien, parce que je suis un attaquant. Je suis là pour marquer des buts, en faire marquer, faire gagner Lorient. Mon objectif personnel est quand même de retrouver un bon club à la fin de la saison, donc de bien jouer.
Malgré la bonne réputation de cette équipe quant à son style de jeu, tu ne t’es pas dit que tu prenais un risque de venir dans un club qui lutte pour le maintien ?
Il fallait que je joue. À Paris, ce n’était plus possible. De toutes les équipes qui s’intéressaient à moi (elles étaient toutes en seconde partie de classement), c’était celle qui pratiquait le meilleur football à mon sens. Je pensais que c’est là que je m’adapterai le mieux. Et le challenge m’intéressait, parce que quand je suis arrivé, l’équipe était dernière.
C’est tout de même une équipe de bas de tableau. Vous venez d’encaisser cinq buts à Auxerre. Si les défaites s’accumulent, comment cela va-t-il se passer pour toi et pour l’équipe ?
On n’a certainement pas la meilleure équipe du monde, mais on a un vrai bon fond de jeu, et même si en ce moment on peine un peu, je suis sûr que cela va repartir. Je suis persuadé que l’on va se maintenir. J’en suis persuadé.
Comment se comportent tes coéquipiers à ton égard ? Tu arrives dans un club modeste, avec un statut d’international, venant du PSG, avec un salaire sans communes mesures avec le leur… Y a-t-il un sentiment de jalousie latent, de défiance à ton égard ?
J’ai été vraiment bien accueilli ici, autant par les dirigeants que par les joueurs et les supporters. Je me suis fait remarquer d’une bien mauvaise façon avec tous les problèmes que j’ai eu à Paris, et j’ai été médiatisé pour ça, alors que c’est très éloigné de ma personnalité. Ça s’est passé, et je ne peux pas revenir dessus. C’est vrai aussi que j’arrive d’un des plus gros clubs français, que je suis international, mais les gens ici ont bien vu que je suis quelqu’un de normal, que j’ai un caractère tranquille et réservé. Et surtout que je fais ce qu’il faut sur le terrain.
Ça ne fait pas bizarre, venant de Paris, de s’entraîner sur un petit stade près de la mer, de faire des séances de musculations dans des algécos ?
Non, je savais pertinemment en arrivant ici que les conditions et les structures seraient très différentes de celles du PSG. Le club s’est retrouvé en D1, alors que les infrastructures, elles, ont du retard. Chacun, du bénévole au joueur, se donne à fond et j’apporte ma contribution. Quand j’ai signé, le club était dernier, donc c’était vraiment en toute connaissance de cause.
L'équipe de France et la suite de sa carrière
Est-ce que tu t’attendais à ta première sélection en équipe de France ?
Pas du tout. Elle est intervenue peu de temps après le décès de mon petit garçon Romain. C’était une période très difficile pour notre famille. J’étais bon en club et être appelé en équipe de France, même si c’était dérisoire par rapport au drame que nous vivions, c’était un bol d’air, un petit quelque chose auquel je pouvais me raccrocher.
On parlait tout à l’heure de ton rôle à Nantes, puis à Paris. Est-ce qu’en équipe de France, on t’a demandé d’autres choses ?
Non. On a peut-être plus de consignes, mais d’une manière générale, on nous demande de jouer comme on sait le faire en club. Avec les caractéristiques de l’équipe.
Mais si on prend par exemple le groupe constitué pour l’Euro 1996 en Angleterre, ce n’était pas du tout le même style de jeu qu’en club pour toi. Tu étais seul devant…
Oui, c’est vrai. Il y avait un attaquant de pointe en moins pour un milieu offensif, en l’occurrence Youri. Quand on joue en équipe de France, on essaie surtout de jouer à la place que l’on nous donne, sans trop réfléchir. C’est là qu’il faut davantage adapter son jeu à l’équipe, parce que c’est un match de temps en temps.
Qu’est-ce qui s’est passé pendant le tournoi de France ? Tu as été le seul, ou un des seuls joueurs à ne pas être titularisé…
De nouveaux joueurs incorporaient l’équipe, je pensais que le sélectionneur voulait faire des essais, puisque c’était une sorte de répétition avant la Coupe du Monde, et moi, il me connaissait bien. Je ne me suis donc pas trop posé de questions au départ. C’est vrai qu’en faisant le bilan, j’aurai bien aimé jouer plus, mais je n’ai pas eu la même analyse que celle que la presse a pu avoir.
Quand il a annoncé la liste des trente-sept à la fin 97, tu y croyais encore ?
Non. Je ne jouais pas dans mon club, je ne pouvais donc pas prétendre être dans l’équipe de France.
Jacquet te connaissait. On pouvait même lire qu’il te suivait, toi, et d’autres internationaux en difficulté dans leur club. Tu avais peut-être une chance « d’accrocher le wagon » en 1998 ?
Pour moi, être en équipe de France c’est jouer dans son club et être bon. Pas mal de gens me disaient, « On ne te fait pas jouer, mais tu es bon ». Je ne jouais pas, je ne pouvais rien montrer. C’était vraiment dommage, mais je savais que je ne pouvais pas être dans cette équipe.
Parmi tous les attaquants qui n’ont pas été retenus dans les 22, certains ont trouvé la sélection de Dugarry surprenante. On ne t’a pas entendu à ce sujet…
Christophe, en 1997, a connu une période délicate à Barcelone où il ne jouait pas, et il n’était pas très bon ensuite. À ce moment-là il y avait meilleur que lui à son poste, c’est pour cela qu’il a été critiqué. Mais les choix des sélectionneurs intègrent d’autres paramètres.
Qu’en as-tu pensé ? Qu’il y avait du favoritisme ? Que Jacquet savait ce qu’il faisait ?
Pour moi, il y avait meilleur que lui à ce moment-là par exemple mon copain Nicolas Ouedec, qui jouait bien en Espagne et marquait des buts. Il avait au moins autant sa place dans le groupe que Christophe sur des critères purement sportifs.
Pour finir, quels sont tes meilleurs et pires souvenirs en équipe de France ?
Le meilleur, c’est le match en Hollande, où j’ai marqué un beau but. On attendait beaucoup de moi, on me faisait confiance. J’ai marqué, fait un bon match, dans des conditions difficiles, contre une bonne équipe hollandaise.
Le plus mauvais souvenir, c’est ma blessure fin 93, qui m’a fait manquer les deux derniers matchs contre Israël et la Bulgarie. Si on avait gagné un de ces deux matchs, j’aurais eu de grandes chances d’aller disputer la Coupe du Monde aux États-Unis.
As-tu des projets, des contacts pour la ou les saisons à venir ? Est-ce que l’étranger t’attire, l’Angleterre par exemple ? Parce qu’outre l’aspect sportif, tu as une famille…
Pas de projets précis, non. J’irai là où on me fera confiance. L’étranger pour la famille, il est clair que c’est délicat. Mais l’Angleterre me plairait bien. J’ai eu quelques touches là-bas en fin de saison dernière.
J’aimerais bien tenter une autre expérience, voir autre chose. Mais rester en France ne me déplairait pas non plus. Je ne sais pas du tout pour le moment. Mon premier projet, c’est que Lorient reste en première division !