JEAN-LOUIS GASSET
Prenant la suite de Michel Mezy à la tête du club héraultais pour la saison 1998/1999, Jean-Louis Gasset est celui qui milite le plus pour la venue de Patrice Loko à Montpellier l'année suivante. Payant le début d'automne catastrophique de son équipe, il est limogé de son club de toujours en novembre 1999. Il poursuit ensuite sa carrière d’entraîneur, soit comme adjoint (d’abord de Luis Fernandez entre 2001 et 2004 puis surtout de Laurent Blanc entre 2007 et 2016), soit comme coach principal (Caen, Istres, Saint-Étienne et aujourd’hui les Girondins de Bordeaux). Ce personnage attachant et pince sans rire est reconnu comme un habile meneur d’hommes et comme un tacticien de premier plan.
ANCIEN ENTRAÎNEUR DU MONTPELLIER-HÉRAULT S.C.Entretien réalisé en septembre 1999 à la Grande-Motte
Quand avez-vous remarqué Patrice Loko pour la première fois ? Est-ce un joueur qui vous a toujours intéressé, ou est-ce que cela a été plus tardif (à savoir au moment de son transfert) ?
Bien sûr, je l’ai remarqué l’année du titre du F.C. Nantes, et en équipe de France. Dans le collectif nantais, j’appréciais sa capacité à créer des espaces, l’intelligence de son jeu, et bien entendu son efficacité.
Quelles ont été les conditions de son transfert ?
Il était en fin de contrat avec Lorient, donc sans indemnités de transferts à verser au club. Un tel joueur coûte évidemment cher pour un club comme le nôtre en termes de salaire, mais l’un dans l’autre, ça reste intéressant compte tenu de son niveau.
En aviez-vous fait une priorité et si oui pourquoi ?
C’était notre priorité de recrutement, de par sa complémentarité avec Ouédec et sa capacité à donner de la profondeur au jeu.
« Est-ce que sa venue vous semblait au départ utopique ?
Non ; il avait besoin d’un club pour rebondir. Et comme je le voulais… Pour tout dire, j’avais fait une liste de trois renforts par ligne. Trois noms par poste. Sauf en attaque où il n’y en avait qu’un, le sien.
Vous souvenez-vous du traitement médiatique qu’il a subi lors de ses problèmes ? En avez-vous tenu compte dans votre réflexion pour le recruter ?
Il a connu une période très délicate dans sa vie… comme chacun de nous peut en vivre. C’étaient des problèmes personnels, mais c’est un personnage public… La Presse a grossi une affaire qui a pris des proportions que jamais elle n’aurait dû prendre.
En ce qui me concerne, je n’ai attaché aucune importance à tout cela. Je voulais Patrice Loko.
On a entendu ici ou là « Patrice Loko est joueur fragile. Il ne supporte pas la concurrence… ». Qu’en pensez-vous ? Avez-vous douté ou prêté attention à certains commentaires avant son recrutement ? Estimez-vous prendre un risque avec lui ?
Quand on fait d’un joueur SA priorité, vous ne tenez compte d’aucun commentaire, et ceux-ci sont tout simplement faux. Je voulais Patrice Loko dans mon effectif. Je l’ai et j’en suis très heureux.
Quel est son comportement au sein du groupe, ses rapports avec ses coéquipiers ?
Irréprochable. Sur et en dehors du terrain.
Comment jugez-vous son intégration à Montpellier, a-t-il encore des efforts à fournir ?
C’est quelqu’un d’introverti, il a besoin de se sentir en confiance pour donner. Mais globalement ça se passe très, très bien.
À propos de certains joueurs (notamment Sylvain Wiltord), on pouvait lire il y a quelque temps qu’ils évoluaient dans un « style Loko », on parle de « joueur feu-follet à la Loko »… Y a-t-il selon vous un style Loko ? Pensez-vous que cela soit un joueur atypique, et dans quelle mesure ? Comment définiriez-vous son style de jeu, ses caractéristiques, points fort et faible ?…
Oui, Sylvain Wiltord ressemble à Patrice Loko, c’est évident ; ce sont des attaquants modernes, des joueurs de rupture qui multiplient les courses, « avalent » les espaces et créent des brèches pour leurs partenaires.
Ce style de jeu exige une parfaite condition physique, car c’est très usant lorsque les matchs se répètent. C’est ce qui pourrait nous poser problème à la longue, je pense.
Reformer le trio Pedros, Ouedec, Loko a-t-il réellement un sens au niveau du jeu ? Dans quelles mesures ? Pensez-vous que l’histoire peut se répéter ?
Ils ont la même approche collective du football, ils ont appris ensemble, dans le même centre de formation… Ils pensent les uns pour les autres. Leur football s’appuie sur deux principes essentiels : le Mouvement et l’Anticipation… Pedros rétabli, j’espère que l’histoire se répétera.
Que pensez-vous d’une idée reçue qui veut qu’un joueur formé à Nantes ait beaucoup de mal à s’adapter ailleurs ?
Des jeunes sortant d’un centre de formation où ils ont passés plusieurs années une sorte de cocon, c’est évident. ils ont besoin d’un temps d’adaptation à leur nouvelle vie, parce qu’ils changent de statut, ils découvrent ce que c’est que de gagner pas mal d’argent par exemple, et c’est une donnée qu’il ne faut pas négliger. Ils doivent s’adapter à de nouveaux partenaires, différents de ceux avec qui ils avaient des automatismes, à un nouveau football aussi. Ça n’a rien de spécifique au F.C. Nantes. Nous connaissons la même chose ici à Montpellier
Pensez-vous que Patrice Loko ait été utilisé au mieux au PSG, en équipe de France ?
Au PSG, il a fait deux très bonnes premières saisons… Ensuite il a été confronté à une concurrence un peu particulière, et il n’a pas eu l’occasion de s’acclimater à Maurice ou à Simone… Ce n’est même pas une histoire de temps puisqu’on ne l’a pratiquement pas fait jouer. Pourtant, on a bien vu ce qu’il pouvait apporter en finale de la Coupe de la Ligue… son entrée en jeu a totalement changé le cours du match ! Quant à l’association Loko/Ouédec, elle n’a jamais été tentée à Paris. Compte tenu de leur vécu commun, c’est franchement regrettable.
En équipe de France, c’est un autre contexte, différent à chaque rencontre, je ne peux donc pas me prononcer. Il me semble qu’il a toujours répondu aux attentes de ses sélectionneurs.
Est-ce que vous diriez que Patrice Loko est un « buteur », même si ce n’est pas un avant-centre classique, selon la formule consacrée ?
C’est un attaquant moderne, à la fois buteur et passeur. Un joueur comme ça vaut, sur le papier, entre douze et quinze buts par an et sept ou huit passes décisives… Quand l’équipe tourne bien.
En prenant compte des paramètres sportifs et extra-sportifs, pensez-vous que Patrice Loko puisse réintégrer l’attaque de l’équipe de France ?
Il ne faut jamais dire jamais. Cela passe obligatoirement par une grande saison de Montpellier et beaucoup de buts de Pat’. Je lui souhaite et je nous le souhaite !
Vous avez déclaré récemment, en substance, que si Loko marquait 15 buts dans la saison, il y ait de grandes chances qu’il parte en fin de saison pour un club plus huppé… Maintenant que la saison est pleinement lancée, pensez-vous que Montpellier soit un tremplin pour lui, ou le sentez-vous suffisamment investit dans votre projet pour continuer l’aventure, par exemple en cas de qualification directe pour une coupe d’Europe ? …
Si un grand club est sur lui à la fin de la saison et qu’il part, ça voudra dire qu’il aura fait une bonne saison, et Montpellier-Hérault également. J’en serais très heureux. S’il finit sa carrière chez nous, j’en serais également très heureux.
Quels sont les objectifs de Montpellier cette saison ? Ont-ils été revus à la hausse du fait du recrutement ?
On souhaitait être européen par le biais de l’Intertoto. On vient de recruter deux bons joueurs (Decroix et Gourvennec). Naturellement nos objectifs ont été revus à la hausse, que ce soit en championnat ou en coupe d’Europe.
Nicolas Ouédec ne marque plus autant qu’avant son départ pour l’étranger… Comment expliquez-vous ceci ? Pensez-vous que la présence de Patrice Loko puisse y changer quelque chose ?
Nicolas Ouedec n’a pas perdu ses qualités de buteur, mais il s’est retrouvé dans des contextes différents de Nantes. Il retrouve ses sensations avec l’arrivée de Patrice. Notre idée directrice du recrutement était assez sommaire : deux attaquants, Loko et Ouédec : vingt-cinq buts. Voilà. Maintenant on ne sait pas encore ce que cela donnera réellement et seul l’avenir nous le dira.